On nous dit que la création de Julia Isídrez, comme de sa mère Juana Marta Rodas avant elle, est travail de révolte. Révolte contre la disparition d’un savoir et d’une pratique – la confection d’objets du quotidien guarani, utilitaires ou religieux, rendus obsolètes par l’arrivée de nouvelles « technologies », de nouveaux matériaux, de nouvelles cultures. Révolte peut-être aussi, pour ces sœurs de misère et de mort prochaine, contre la disparition d’un temps et d’un lieu au-delà des mots et des images – d’une enfance. Révolte obstinée ou ludique, ardente ou humble, silencieuse ou musicale : que chacun en juge.
Aux trois fonctions immémoriales de la céramique, manger, prier et enterrer, Julia Isídrez en ajoute ainsi une quatrième, pour mieux se rapprocher de cette enfance défendue : rêver.
Ses céramiques naissent d’une glaise noire, comme le rêve est éclosion dans la nuit, mais se patinent également d’ocre doux. Leurs formes agissent comme des révélations, lumineuses ou fantastiques, mais de fantasmes empreints de rondeur chaleureuse : tatous bombés, chenilles dandinantes, iguanes hérissés, grenouilles coassantes, fourmiliers renifleurs, … Ce bestiaire, reconnaissable autant que mystérieux, figure solitaire ou démultiplié, juché parfois sur des globes vides ou curieusement béant, comme autant de microcosmes inépuisables, éveillés mais portant l’indice du rêve, vivaces mais toujours au bord de l’effacement1. Comme une rencontre entre Pompon et Miyazaki, dans une guinguette perdue au bord du Rio Paraguay.
Je regarde la sculpture de Julia Isidrez : elle a la qualité tactile du cuir poli et du pain chaud. On voudrait la caresser, la pétrir, peut-être même l’ingérer, pour la faire sienne et emporter son mystère – peu de sculptures peuvent prétendre à cette évidence.
Augustin de Lestrange